La presse et les citoyens : Laurent Mauduit à Toulon ce 21 novembre !

La presse et les citoyens : Laurent Mauduit à Toulon ce 21 novembre !

Des bureaux disposés en « open space » et côté fenêtre, un espace exigu… c’est ici que Laurent Mauduit travaille. Pas de faste, pas de bureau « de ministre »… le cofondateur de Médiapart va directement à l’essentiel. Son casque de moto et son sandwich posés sur un coin de bureau, ce journaliste spécialisé dans les affaires économiques et sociales est aussi un homme pressé. Mais il s’attarde aisément lorsqu’il s’agit d’aborder cette presse qu’il juge aujourd’hui en danger. C’est le thème essentiel de « Main basse sur l’information » aux éditions DON QUICHOTTE, le premier livre qu’il consacre au sujet.

Conrad EBERHAERD : « Ce livre nous invite à revisiter l’histoire. Nous sommes au moment de la libération. La presse devient libre et indépendante. Sans presse, pas de démocratie… est-ce encore vrai aujourd’hui ? »

LAURENT MAUDUIT : « Oui, mais on a oublié ce qu’a été la presse de l’époque. C’est le Conseil national de la Résistance qui, à l’époque, souhaitait une presse indépendante… et ce n’est pas si loin ! Une presse libre, fonctionnant en coopérative ouvrière… une histoire qui avec la création de nouveaux empires, a vécu un véritable séisme. Par exemple Vincent Bolloré : aux commandes de Vivendi et pilote de Canal+ . N’y-a-t-il pas une interrogation légitime sur l’indépendance éditoriale ? Patrick Drahi, financier, patron de Libé et du groupe l’Express, actionnaire à 49% de NextRadioTV (BFM-TV, BFM-Business, RMC)… faut il rappeler certains antécédents ? Notamment les dégâts sociaux causés par sa politique chez SFR ? En France, toute la presse ou presque a été rachetée à bas prix par des milliardaires. Quelle tristesse ! Depuis quatre ou cinq ans, le pluralisme s’amenuise et on assiste à de véritables censures et des licenciements éminemment politiques…

Conrad EBERHAERD : « Dans ce contexte, y a-t-il des médias plus épargnés que d’autres ? »

LAURENT MAUDUIT : « Chaque journal a son histoire. Il y a des journaux où la tradition d’indépendance reste très forte et imperméable aux désidératas des nouveaux propriétaires. C’est le cas du journal Le Monde où les trois nouveaux actionnaires (Xavier Niel, pdg de FREE, Mathieu Pigasse banquier et Pierre Bergé milliardaire) ne sont pas parvenus à balayer les droits moraux et historiques de la rédaction. Mais attention ! Le danger se rapproche ! Je trouve donc important d’interpeller les citoyens sur cette perte d’indépendance. Regardez aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons, la presse pourtant « financiarisée », de droite néolibérale, poursuit son travail d’investigation… En France, ce système est sclérosé par des conflits d’intérêts… la culture d’investigation est moindre et l’autocensure existe… et elle est souvent difficile à détecter »

Conrad EBERHAERD : « Contrairement à nos pays voisins, les patrons de grands médias ne sont pas issus de la presse…»

LAURENT MAUDUIT : «Exact, on pourrait citer des grands groupes de presse, en Allemagne par exemple, le groupe Bertelsmann ou chez les Anglo-Saxons avec le groupe MURDOCH, ces dinosaures, qui ont la presse dans leur ADN, pratiquent depuis longtemps une logique industrielle. En France, nos milliardaires ont racheté des titres comme des danseuses, nous sommes ici, dans des stratégies d’influence, prenons la cas du FIGARO, qui était la propriété de Monsieur Hersant, homme de média, devenu un industriel de la presse. La holding a été vendue à Serge DASSAULT ! Voilà une belle régression démocratique ! Un avionneur ! Marchand d’armes ! Député ! Et là nous rentrons dans ce que j’appelle : « le capitalisme de la barbichette, je te tiens tu me tiens… » Danger évident pour l’indépendance ! D’autant que nous n’avons pas en France une culture démocratique assez forte comme c’est le cas aux Etats Unis avec le 1er amendement qui garantit la liberté d’opinion et d’expression protégeant ainsi la presse fondatrice de la démocratie américaine.

Conrad EBERHAERD : Vous évoquez des questions de concentration au sein des médias français… et en région ?

LAURENT MAUDUIT : « C’est aussi inquiétant. Dans le Sud, B.Tapie est toujours à la tête de La Provence alors qu’il a été condamné à rembourser 404 M d’euros ! Dans l’Est, des centaines d’emplois sacrifiés et le Crédit Mutuel qui règne sur un quart du territoire ! On pourrait également évoquer des journaux comme La Dépêche et le Midi Libre entre les mains d’un ministre en exercice ! Tout ceci n’est pas normal»

Conrad EBERHAERD : Y a-t-il une solution à mettre en place ?

LAURENT MAUDUIT : Bien sûr. Certes je vais prêcher pour ma paroisse mais elle peut monter l’exemple. Regardez MEDIAPART. Au début notre slogan était un peu moqueur : « seuls nos lecteurs peuvent nous acheter » rappelant ainsi que nous ne dépendions ni du capitalisme financier, ni des contraintes publicitaires, ni de subventions publiques, d’aide directe à la presse, ou autres… au début, tout le monde se moquait de nous en estimant notre système d’abonnement était antinomique avec le fonctionnement d’internet. Huit ans après nous recensons 123 000 abonnés. La morale de l’histoire, c’est que l’honnêteté, l’indépendance et l’investigation sont toujours reconnues par le public. C’est une excellente nouvelle ! Et cela prouve qu’internet est devenu un véritable espace de liberté où les journalistes peuvent faire leur travail, où les citoyens peuvent réagir et au final un vrai modèle économique existe permettant à des rédactions de vivre… Pour moi, une réflexion s’impose : la nouvelle presse pourrait-elle être produite par une société de presse citoyenne ? Un système participatif… une société à but citoyen soutenue par des contributions citoyennes défiscalisées ? Je pense aussi à la banque publique d’investissement qui pourrait soutenir ce type de projet en pratiquant des taux d’intérêt très bas. En regroupant ces journalistes et ce public, on peut arriver à faire bouger les lignes… et pousser notre représentation nationale à inscrire à l’ordre du jour une vraie refonte d’une presse libre et indépendante. »

Conrad EBERHAERD : Avec de tels propos, n’est-il pas difficile de faire la promo de votre livre ? »

LAURENT MAUDUIT : Ah oui, c’est compliqué (rires) ! Je ne sais pas si les choses bougeront, mais disons que les médias ne se sont pas précipités pour m’inviter : pas une ligne dans Le Monde, Libé, l’Express, BFM, RMC … le service public ne s’est pas non plus précipité… en dehors de France infos… Par contre, les associations soucieuses de promouvoir la démocratie en France me sollicitent pour débattre publiquement autour du livre et de la liberté de la presse.

Au final, je parie surtout sur l’attente des citoyens… à vrai dire, ce sont eux qui ont toujours le dernier mot.

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Texte et photos : Conrad EBERHAERD

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