Face à la politique, Arendt n’a jamais fui mais a développé un journalisme très varié : libre opinion, reportage, notes de lecture, articles de fond…
Nos confrères Erol Önderoglu, Sebnem Korur Fincanci et Ahmet Nesin ont eux aussi fait face : ils sont en prison ! Nous vous livrons ci-dessous, cet article de REPORTERS SANS FRONTIÈRES qui alerte et invite à l’action ceux pour qui l’information est plus que jamais vitale.
Un rassemblement s’est tenu ce vendredi matin 24 juin devant la prison de Metris à Istanbul en soutien à Erol Önderoglu, représentant de Reporters sans frontières (RSF) en Turquie, Sebnem Korur Fincanci et Ahmet Nesin, incarcérés depuis le 20 juin. Les principales associations nationales de défense des droits et des libertés étaient présentes pour demander leur libération immédiate et l’abandon de toutes les charges retenues contre eux.Un rassemblement sera également organisé à 16 heures devant la prison de Bakirkoy, où se trouve emprisonnée Sebnem Korur Fincanci.
A Paris, RSF et la FIDH se sont retrouvés devant l’ambassade de Turquie pour exprimer les mêmes demandes : libération des journalistes emprisonnés et respect du droit d’informer.
La veille, Erol Önderoglu et Ahmet Nesin avaient transmis chacun une lettre manifestant leur détermination. Nous les publions ici dans leur intégralité.
23 juin 2016
Prison de Metris
La Turquie a exercé une pression envers ses journalistes et ses opposants sous différents régimes mais ces dernières années, cette pression s’est élargie en incluant tous les milieux en dehors du pouvoir.
Ce que nous avons pu constater à la prison de Metris, c’est que tous nos collègues, les juristes et activistes qui ont foi en la démocratie, en la liberté de la presse, en la liberté d’expression et d’opinion, peuvent agir ensemble de façon efficace.
Je salue la mobilisation de RSF, dont je suis le représentant, des organisations nationales et internationales de journalistes, des associations d’écrivains et des mouvements pour les droits, contre la pression exercée sur le journalisme, les juristes, les universitaires et les politiciens d’opposition.
Que ce soit en prison ou dans la rue, nous poursuivrons ensemble la lutte pour nos droits.
Chaleureusement,
Erol Önderoğlu
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Chers amis,
Il n’y a désormais rien de plus facile que d’être incarcéré dans un pays de non-droit. Il est bien sûr difficile de lutter pour la paix et la démocratie dans un pays dans lequel elles ne sont ni appliquées ni connues. Mais ces difficultés n’ont jamais altéré notre foi en la liberté.
Notre tâche était difficile par le passé, elle l’est encore. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui nous ne faisons pas seulement face à une personne qui ne veut pas la démocratie, mais à une personne qui la méconnait. Par conséquent, toute explication qu’on pourrait lui apporter serait vaine.
Ceux qui pensent que la démocratie se réduit à des élections et qu’être élu signifie être seul au pouvoir sans la moindre d’opposition ne connaissent pas la démocratie et ne voudront bien évidemment jamais la connaître. La seule explication à cela est le fascisme. Ceux qui croient que la démocratie signifie être seul au pouvoir méconnaissent aussi le fascisme. Pardonnez donc leur ignorance.
J’espère que nous serons le dernier maillon. Mais je ne le crois pas car nous luttons avec un seul homme qui ne sait rien. Ce fascisme va probablement élargir les failles dans les rangs de l’AKP et ne soyez pas surpris si des détentions surviennent au sein même de l’AKP pour mettre fin à cela.
Le fascisme m’a appris beaucoup de choses, mais ces treize dernières années, j’ai surtout appris à ne pas m’étonner.
Amicalement,
Ahmet Nesin
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La Turquie occupe la 151e place sur 180 dans le Classement 2016 de la liberté de la presse, publié par RSF.
Entretien avec Corinne CRETTAZ sur le titre de cet article –
Arendt a connu la condition d’apatride. Elle a eu un engagement que l’on ne peut qualifier autrement que de politique. Dire qu’elle l’a fuie serait donc inexact, elle aurait par contre sans doute souhaité avoir le choix de ne pas s’y impliquer ainsi qu’elle DUT le faire.
Rappelle-toi la manière dont sa communauté l’a traitée quand elle a couvert le procès de Jérusalem. Elle le fit en philosophe. La banalité du mal qu’elle y observa n’est autre que celle qui consiste à ne pas penser. Elle a donc dû penser l’événement. C’est ce qu’elle fit lors de la controverse de Little Rock. Là, elle fut engagée. Elle le fut d’une manière telle que l’on lui reprocha de faire entrer la politique dans les chambres à coucher…
Arendt n’eut d’autre choix que celui de l’engagement. Oui, la politique semble une œuvre désespérée, mais vivre peut aussi paraître être une œuvre désespérée. Arendt n’a de fait que peu à voir avec le désespoir.
Rappelle-toi qu’elle écrivit sa thèse sur St Augustin, chose que l’on oublie souvent. Il y a dans sa construction un horizon d’espérance. Elle ne renonce jamais. Chacun de ses mots est une leçon de courage et de foi en ce que nous pouvons être dès lors que nous pensons.
L’affaire est PRESQUE désespérée. La tentation est surmontée d’emblée.
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Corinne Crettaz est docteur en philosophie et maître de conférences. Après avoir travaillé sur la pensée religieuse du XVIIe siècle, plus particulièrement chez Blaise Pascal, elle enseigne depuis plusieurs années sur la philosophie d’Hannah Arendt, Hans Jonas et Jürgen Habermas. Son enseignement de la psychologie sociale à l’Institut catholique de Lille (2004-2007), ainsi que la mission d’expertise sur les contenus d’enseignement qu’elle accomplit depuis deux ans pour l’Institut d’études politiques (IEP) de Lille et le Centre national d’éducation à distance (CNED), l’ont amenée à considérer les questions de la violence, de la discrimination et de la construction identitaire dans nos sociétés contemporaines.
Elle a notamment publié « La permanence de l’esprit missionnaire de la politique extérieure des États-Unis », Mélanges de sciences religieuses , sept. 2005, et « La généalogie des droits de l’homme », dans Pierre Gévart (éd.), Les Droits de l’homme , Paris, L’Étudiant, 2006.